
« Nous avons échoué à prendre soin de la planète », « Le futur est effrayant », « L’humanité est condamnée » : ces terribles constat sont partagés par respectivement 83, 75 et 56% des 10 000 jeunes de 16 à 25 ans originaires de 10 pays interrogés par des chercheurs d’universités britanniques, américaines et finlandaise.
Des Etats-Unis aux Philippines en passant par la France, l’éco-anxiété, c’est à dire l’angoisse née de la prise de conscience des crises climatiques et environnementales en cours et à venir, frappe la jeunesse. L’étude, à paraître dans le journal The Lancet Planetary Health alerte sur les effets physiques et psychologiques que peuvent produire l’anxiété et le stress chronique induits par le fait de grandir à l’ombre des catastrophes. Autrement dit, la peur de l’avenir, en générant crises de panique, insomnie, dépression chez les jeunes générations constitue un réel enjeu de santé publique.
Nous y voilà, nous y sommes : nous vivons donc désormais dans un monde où la jeunesse, celle qui peuple nos salles de classe, devra non seulement vivre avec les conséquences de ce que nous leur léguons – dérèglement climatique, déclin massif de la biodiversité, pollutions de toute sorte – mais où elle souffre d’ores et déjà de ne pouvoir se représenter l’avenir, ou de ne pouvoir l’imaginer que terrifiant.
Comment nous, enseignant·es, pouvons nous alors continuer de préparer nos élèves et étudiant·es, presque comme si de rien n’était, à un futur calqué sur le monde d’hier? Comment pouvons-nous continuer à faire semblant que ces problèmes sont pris en compte, que la situation est sous contrôle? Comment pouvons nous laisser les jeunes seul.e.s, devant les écrans de leurs smartphone, voir défiler ces images de désolation et de désastre?
Il est plus que temps d’agir. Car ce désespoir de la jeunesse s’alimente d’abord de notre inaction, et de celle de nos responsables politique. L’étude du Lancet ne laisse pas de doute sur ce point. Plus de la moitié des jeunes interrogés (58%) se sentent trahis par l’insuffisance des réponses gouvernementales vis-à-vis du changement climatique. Moins d’un tiers (31%) estiment que leur gouvernement en fait assez pour éviter les catastrophes, cette proportion tombant à 26% en France. De fait, derrière les slogans (Make our Planet great again) et les effets d’annonce, le bilan climatique et environnemental de l’actuel gouvernement est indigent comme l’a notamment rappelé Greenpeace.
Et au rang des premières institutions sur lesquelles la jeunesse aurait du pouvoir compter, il y a l’école. En France, les jeunes auraient du se sentir accompagnés dans la découverte de ces sombres perspectives par des personnels formés et prêts à répondre à leurs questions et à leurs inquiétudes. Les élèves et les étudiant.e.s auraient du pouvoir compter sur un enseignement solide de ces faits. Ils auraient du pouvoir lire dans les offres de formations et de poursuite d’études qu’un avenir est possible et qu’ils et elles ont un rôle à y jouer. Ils auraient du trouver dans les écoles, les collèges, les lycées, les universités, des lieux où leurs émotions et leur détresse auraient été entendues et prises en compte, mais auxquelles des savoirs et des réflexions basées sur la science et les valeurs humanistes de l’école républicaine auraient répondu. Au lieu de cela, le gouvernement a continué à faire le strict minimum, enjoignant ses personnels à faire de « l’éducation au développement durable » comme si l’on pouvait encore accorder la moindre crédibilité à cette notion. Et à mettre en place des politiques éducatives toujours plus aberrantes en termes de sobriété énergétique, comme la numérisation à tous crins et la distribution irréfléchie d’ordinateurs et de tablettes à des jeunes déjà saturés d’écrans.
Nous, enseignantes et enseignants, ne voulons pas participer à ce modèle de société qui rend la jeunesse malade de son avenir. Nous ne voulons pas continuer d’exercer notre métier « as usual », sans en redéfinir les objectifs et leurs mises en oeuvre. Il y a urgence à changer et à répondre à la détresse qui s’exprime : sinon, vers qui, vers quoi cette jeunesse, et en particulier les plus fragiles, se tournera-t-elle? Il est permis de nourrir les plus grandes inquiétudes à ce sujet.
Alors que s’amorce la campagne présidentielle, il est urgent que les candidat·es se saisissent de ce thème et mettent au coeur de leurs programmes écologiques la question éducative. L’école doit avoir pour mission de mettre des mots sur les périls écologiques qui nous menacent et sur les espoirs qui subsistent, elle doit former nos jeunes aux savoirs et savoir-faire qui réparent et qui protègent le vivant, et aux valeurs humanistes qui devront les guider. L’école doit redevenir pour la jeunesse un lieu où se développe le sens du collectif et l’envie d’engagement, un lieu où le monde se réenchante, un lieu où l’espoir s’enracine et peut grandir à nouveau.