Pourquoi faut-il refuser la numérisation des copies d'examen ? Des raisons écologiques, pédagogiques, sanitaires et sociales

Il est prévu que toutes les copies d’E3C (épreuves communes de contrôle continu, mises en place par la réforme Blanquer) soient numérisées pour être corrigées en ligne. Nous nous y opposons fermement. Nos arguments :

  1. Une injonction contradictoire, source de souffrance au travail

Nous nous retrouvons face à des injonctions contradictoires de la part de notre institution : d’une part, nous devons nous engager dans la voie du « développement durable » en sensibilisant nos élèves à la protection de l’environnement, en leur apprenant les éco-gestes qui permettent de préserver les ressources, en inscrivant nos établissements dans des démarches de labellisations E3D. D’autre part, nous devrions moderniser à tous crins nos pratiques en développant le plus possible les usages du numérique, même si cet usage ne se justifie d’aucune manière.

2. Un coût écologique très conséquent

Les chiffres précis de l’impact de ces corrections numérisées ne sont pas connus et sont très complexes à estimer. Mais il faut additionner les coûts de la consultation en streaming, du stockage de ces données et surtout les coûts dramatiquement élevés de la fabrication et du renouvellement accélérée du matériel utilisé de manière très intensive (scanner, ordinateur…). En effet, vu l’enjeu du baccalauréat, on ne pourra pas se permettre que des outils numériques tombent en panne ou dysfonctionnent. Or, produire un appareil numérique neuf implique forcément des matières premières (métaux, dont les terres rares notamment) dont les taux de recyclage sont très faibles (jusqu’à inférieurs à 1 %). Chaque nouvel appareil engendre donc forcément d’extraire ces matériaux, donc de creuser quelque part une mine etc. La phase de production des appareils électroniques représente 70 à 90 % de l’impact carbone de l’appareil. Il n’y a donc pas de doute que la numérisation sera infiniment plus polluante que celle occasionnée par la méthode traditionnelle de correction.

Précisons que la numérisation ne remplace pas le papier : les élèves composent toujours sur des copies.

3. Une gigantesque dépense, parfaitement inutile

Cette numérisation apparaît particulièrement inopportune. Dans l’esprit du contrôle continu voulu par la réforme, les copies seront corrigées localement, en interne. Le scannage, le stockage sur des serveurs et les heures de correction sur ordinateurs sont donc des sources de consommation d’énergie tout à fait évitables. Ceci d’autant que répétées d’E3C en épreuves anticipées et examens de fin d’année, dans tout le pays, pendant des années, cette consommation d’énergie superflue ne va pas être anodine : nous avons estimé que chaque candidat.e composant 22 épreuves en 2 ans et produisant en moyenne 3 pages par épreuves, cela aboutirait à stocker pendant 1 an minimum 36 millions de pages par génération d’élèves, et engendrait plus de 4 millions d’heure de connexion pour les correcteurs, en comptant 20 min par copie. Il faut rajouter à cela le temps de connexion post-correction pour les élèves qui iront consulter leurs copies.

Tout cela alors que les copies pourraient passer de mains en mains, tout simplement.

4. Notre électricité serait décarbonée ? Le contre-argument qui ne passe pas

Nous n’avons aucune information sur le lieu de stockage de ces copies numérisées. Si ce stockage se fait en France, notre consommation d’électricité dépendant essentiellement du nucléaire est loin d’être irréprochable et sans risque sur le plan environnemental et doit être limitée autant que possible. Cela ne change par ailleurs rien aux émissions de GES liés aux autres étapes du processus de numérisation (dont la fabrication des matériels).

5. Une pratique contre-productive sur le plan pédagogique

La numérisation des copies va entraîner une correction plus fastidieuse des copies. L’annotation des copies, la rédaction de commentaires au fil des pages, la correction fine de l’orthographe seront rendues pratiquement impossibles. Les élèves n’auront accès à leurs copies corrigées qu’en ligne, ce qui rendra difficile un travail de remédiation régulier en classe. Il faut également prendre en compte la fracture numérique en particulier en zone rurale et les phénomènes d’illectronisme de certains élèves, pour qui ces usages du numériques seront excluants et pénalisants.

6. De l’énergie, mais aussi du temps perdu, des tâches abrutissantes et néfastes pour notre santé

Outre la question de la contribution absurde au chaos climatique, cette procédure interroge aussi sur le temps passé, pour l’instant par l’administration, à scanner des centaines de pages de copies, à décortiquer des notices de logiciels et à réagir aux dysfonctionnements multiples qui ne manqueront pas d’arriver. Ces actions seront bénévoles, ou empièteront sur d’autres missions infiniment plus importantes pour le suivi des élèves. Enfin se profile l’inconfort de la lecture sur écran pour beaucoup d’enseignants ainsi que tous les risques induits par une surexposition aux écrans : nervosité, migraines, sédentarité accrue, troubles du sommeil, oculaires ou des TMS (troubles musculosquelettiques).

6. Un outil de surveillance et de contrôle social sur les enseignant.e.s

La numérisation et l’utilisation du logiciel Santorin sont clairement un moyen pour l’administration de contrôler le déroulement des corrections, en surveillant l’activité des enseignant.e.s et leur productivité. Cela constitue un risque non nul d’instrusion dans la vie privée.

7. Il nous faut nous saisir de cette opportunité pour interroger nos pratiques

Nous opposer à cet aspect de la réforme en cours nous paraît être un moyen d’initier une réflexion profonde et, nous l’espérons, systématique, à terme, sur les impacts de nos pratiques numériques, qu’ils soient écologiques, pédagogiques ou sociétaux.