Troisième appel du collectif Enseignant.e.s Pour la Planète

Une version raccourcie de ce texte a été publiée le 24/03/2022 sur le site Reporterre

Il y a trois ans, nous faisions paraître notre premier appel, signé par plus de 7 000 collègues. Nous, enseignant·e.s, pour la plupart fonctionnaires d’un service public voué au bien de tous et toutes, formé·es à l’esprit critique et résolument à l’écoute de la science et de ses avancées, nous avions déclaré que nous refusions dorénavant de dispenser un enseignement éloigné des conclusions auxquelles étaient déjà arrivés des milliers de scientifiques : enseigner la croissance et la productivité sans enseigner les ravages constatés de l’extractivisme, enseigner l’urbanisation sans enseigner la catastrophe de l’artificialisation des sols et la raréfaction des terres agricoles, enseigner comme si des changements individuels de comportements pouvaient suffire à changer la donne.

Sur ce terrain, nous n’étions pas seul·es. Avec les jeunes qui, depuis, ont constitué la « Génération Climat », les syndicats de l’éducation (SNES, SUD…) nous avons lancé l’Appel pour la débitumisation des cours d’école. Avec elles et eux, nous défendons aujourd’hui l’idée qu’il ne peut y avoir d’enseignement ni d’éducation sans prise en compte de l’état écologique de notre planète et sans modification fondamentale de nos façons d’enseigner. De l’architecture de nos écoles, qui sont bien souvent de véritables passoires énergétiques aux cours bétonnées, jusqu’à la formation des enseignant.es, encore souvent insuffisamment informés sur le sujet du réchauffement climatique ou de l’extinction de la biodiversité, tout doit être revu.

Un frémissement a eu lieu, mais si léger : verdissement des programmes dans le primaire et le secondaire (programme de SVT sur les services écosystémiques, de physique sur le réchauffement climatique), injonction à élire des éco-délégués dans les classes sans pour autant avoir dégagé de temps pour leur formation… Et il a vite été contrebalancé par des signes radicalement contraires : une numérisation à outrance de l’enseignement alors que la pollution liée au numérique est de mieux en mieux connue, développement des partenariats avec les entreprises polluantes ou leur lobbyiste (Amazon pour le stockage des copies numérisées, Interbev pour la promotion de l’alimentation carnéé, Microsoft pour l’équipement informatique, Leclerc pour l’organisation de clean-walk sponsorisées…)

L’Éducation nationale subit le même greenwashing que tant d’autres institutions, mais continue en réalité à être pensée et dirigée comme un univers hors-sol, dans lequel la question des périls écologiques semble lointaine, au mieux incomprise, au pire méprisée. En sciences appliquées ou en économie, les idées de décroissance ou de low-tech sont discréditées. En géographie les catastrophes en cours et à venir sont enseignées comme si elles ne nous concernaient pas. Le respect porté au vivant semble une lubie cantonnée aux livres de poésie. Passant sous silence l’histoire populaire de la sobriété, seules la quête de puissance et la domination ont droit de cité dans les cours d’histoire, par le prisme ancien des empires ou récent des multinationales.

Or le temps presse et nous disons qu’une formation sérieuse aux questions écologiques doit faire partie du corpus élémentaire de connaissances dont chaque citoyen.ne en construction doit pouvoir disposer, quel que soit son cursus scolaire et la durée de ses études. La culture écologique doit faire son entrée dans la culture générale. Un.e citoyen.ne devrait désormais être capable de calculer même basiquement un bilan carbone ou un bilan énergétique pour faire ses choix de consommation, de reconnaître un écosystème dégradé, de savoir en identifier la cause et le remède, d’avoir une idée des grandes thèses des penseurs de l’écologie… Mais nous en sommes à mille lieux.

Aujourd’hui encore, dans l’Éducation nationale, l’approche environnementale repose sur deux piliers : l’éducation (pluridisciplinaire) au développement durable, qui est censée démontrer la compatibilité entre le maintien du système économique actuel et la préservation de l’environnement  et les « petits gestes pour sauver la planète ». Le premier est irréaliste, le second inopérant, en plus d’être culpabilisateur. Nous ne voulons pas « préparer les jeunes à promouvoir le développement durable » (conférence de Rio+20 en 2012), nous voulons les accompagner dans l’acquisition de connaissances et de compétences leur permettant de défendre le vivant et de s’adapter aux crises en cours et à venir.

Nous pensons en effet que, comme toute éducation digne de ce nom, une éducation à l’écologie doit interroger les certitudes de celles et ceux qui la reçoivent, questionner les mécanismes de notre société. Un enseignement sur l’état de la biodiversité marine ou sur la pêche doit interroger notre éthique profonde, notre rapport à la violence. Dire l’impasse de notre modèle alimentaire et proposer des solutions. Un enseignement sur les métropoles doit interroger sur la relégation sociale et la destruction environnementale qu’elles occasionnent pour permettre à chacun de s’assurer qu’elles sont bien l’horizon enviable que l’on fait croire aujourd’hui. Comme la laïcité ou l’égalité femme-homme, l’écologie doit devenir une valeur défendue par l’école, un prisme incontournable de nos enseignements, scientifiques, littéraires ou techniques, tournés vers l’action et l’engagement citoyen. Pour les plus jeunes de nos élèves, le maximum des efforts doit être faits pour leur apprendre à découvrir le vivant, à l’aimer et à s’en émerveiller. Pour les plus grands, il faut leur apprendre à le respecter et, dans le cadre démocratique et non-violent que promeut l’école, les inciter à le défendre.

Le défi est en effet aujourd’hui de permettre aux jeunes de comprendre les enjeux importants du monde dans lequel ils vivent (sur le nucléaire, la géo-ingénierie, les pesticides…) de façon à pouvoir engager leur avenir professionnel et personnel vers la réparation du monde. Car, nous le voyons dans nos classes, les jeunes souffrent moins d’éco-anxiété que d’éco-impuissance : comme les scientifiques qui découvrent la comète Dibiasky dans le film Don’t Look Up, comète qui va détruire la Terre si tout n’est pas mis en œuvre pour détourner sa trajectoire), ce qui les mine, c’est leur sentiment de solitude face à un discours institutionnel en complet décalage avec la perspective sombre qui se profile devant eux.

Ce sont donc également nos modèles de réussite scolaire qu’il faut interroger : ceux qui construisent des aéroports et des centrales nucléaires, élaborent des montages fiscaux, inventent aujourd’hui des systèmes chimiques pour percer les nuages… ne viennent-ils pas essentiellement de nos « filières d’excellence » ?  Et à l’inverse, la voie professionnelle, si souvent dénigrée, ne devrait-elle pas être vue comme la carte maîtresse d’une société qui voudrait se transformer en profondeur, formant par exemple plus de paysan.ne.s, d’artisans combattant de l’obsolescence et de la pétrochimie ?

Le 25 mars prochain, ces jeunes feront à nouveau la grève scolaire. Nous appelons à les rejoindre massivement dans la rue. À cette occasion, nous engageons nos collègues enseignant·es, de la maternelle à l’enseignement supérieur, et plus généralement toutes celles et ceux qui font vivre au quotidien l’Education nationale –AED (assistants d’éducation en préprofessionnalisation), AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap), ATSEM (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles), chefs d’établissement, CPE PsyEN (conseillers principaux et psychologues de l’Education nationale), etc. –, au delà de l’interpellation des candidat.e.s aux élections qui s’annoncent, à libérer leur parole sur ces questions qui nous taraudent tou.te.s. La mission de l’Education nationale en péril, le métier d’enseignant en perte de sens : nous disons que l’écologie peut être l’une des bases de la reconstruction de notre profession et de cette institution. L’écologie doit devenir un sujet dans l’éducation, avant, nous l’espérons, de devenir l’un de ses projets.

3 commentaires

  1. Merci beaucoup!
    Je suis enseignante à l’université de Nantes, suis totalement en accord avec vos propos, et prête à agir!!!
    Je vous suivrai et vous encourage à me diffuser vos messages et actualités.
    Merci encore et à vous lire,

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  2. Après une mise à distance personnelle avec le collectif, pas totalement étrangers à la gestion de l’eco-anxiété, quel plaisir de relire vos articles et ce magnifique appel.
    Merci pour votre énergie. Je fais tourner !

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    • Merci pour ce message, et reviens quand tu veux! D’ailleurs on vient d’être contacté par un autre collègue d’EPS….

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