Témoignages

Le site d’EPLP est en reconstruction complète. On espère vous présenter une version bien plus belle et plus complète d’ici la rentrée. Merci de votre patience!

Nous publions ici des témoignages d’enseignant.e.s qui se questionnent, font face à des dilemnes voire souffrent dans leur pratique professionnelle, en raison des non-dits de l’institution sur les crises écologiques et de l’absence de politiques pour contrer ces crises. Ces témoignages sont strictement personnels et n’engagent que leurs auteurs.

Témoignage de Marianne, enseignante-chercheuse à l’ESPE. Marianne forme les futur.e.s enseignant.e.s et CPE.

Depuis des années je lisais des articles à droite à gauche, quelques ouvrages sur les enjeux environnementaux, mais c’était assez abstrait et je n’ai jamais vraiment trouvé où m’investir. Et soudain j’ai eu un déclic, lié à plein de facteurs. La naissance de mon 2e enfant. L’ainé, 3 ans à peine, qui enchainait les maladies respiratoires (nous vivions en plein centre ville). La multiplication des articles inquiétants. Le lancement d’XR, qui pour une fois défendait une approche globale, politique de ces questions. Je me suis lancée tête baissée, j’ai multiplié les lectures (en congé mat c’était pratique)…et tout à coup ce que je faisais professionnellement n’a plus eu de sens. Je suis enseignante-chercheuse en sociologie, et je forme notamment les futur.e.s enseignant.e.s de Sciences économiques et sociales en ESPE. En préparant mes cours, je me suis rendu compte de l’absence quasi totale de ces questions dans les programmes (elles sont évoquées en économie); en échangeant avec mes collègues – du supérieur comme du secondaire – je me suis aussi rendue compte que la plupart « savaient » – que nous détruisons chaque jour notre environnement, que nous préparons un monde invivable pour les jeunes générations – mais continuaient à faire comme si de rien n’était. Comment dans ces conditions préparer les plus jeunes ? Pour moi EPLP, c’est un moyen de concilier un sentiment d’urgence et mon activité professionnel, de mettre en pratique l’idée qu’on ne pourra agir que collectivement, mais aussi de pouvoir échanger avec des personnes qui partagent des objectifs proches.es.

Témoignage de Christian, 56 ans, enseignant en lycée. Christian a décidé d’arrêter le métier.

Permettez-moi d’abord de vous souhaiter de réussir à faire en sorte que l’enseignement en France, et bien sûr plus généralement dans le monde, soit, dans un avenir proche, une force de tout premier plan pour faire émerger la nécessité absolue de changements radicaux du fonctionnement de la société.
Excusez-moi du contenu, pas très positif, de ce qui suit ainsi que de la forme, un peu brut de décoffrage qui aurait sûrement mérité une construction plus soignée.
Je pense en particulier aux collègues qui comme moi modestement, ont essayé et vont continuer, eux de le faire, œuvrent depuis longtemps en y mettant tout leur cœur et toute leur énergie, à sensibiliser leurs élèves à tous ces problèmes environnementaux. Bravo à vous.
Pour moi, le métier d’enseignant est devenu difficile et je vais le quitter. Le contexte environnemental n’est pas étranger à cette décision, même s’il n’en est pas la raison exclusive.
Devant l’urgence d’actions déterminées et d’ampleur (que nous savons nécessaires sans les prendre), avoir des jeunes en face de moi et continuer à leur enseigner, à quelques bémols près, les mêmes contenus que ceux qui ont été enseignés à leurs parents est douloureux. J’ai l’impression d’une malhonnêteté (voire d’une trahison) intellectuelle à continuer à faire fonctionner, business as usual, cette entreprise de remplissage de têtes « bien » faites.
Et les quelques gesticulations de green-washing qu’on peut faire ne font en fait souvent qu’ajouter à ce malaise. Est-ce bien des résultats tangibles que l’on cherche à obtenir ? Ou un effet d’affichage et de respect des incitations de nos programmes officiels, pour faire croire qu’on joue notre rôle ?
Nous leur avons offert dans leur berceaux des fonctions exponentielles qui commencent à se réveiller et j’aurai du mal à assumer (collectivement car je crois que pour ma part j’ai toujours fait part d’une grande sobriété de besoins) d’être devant leurs yeux quand tous les effets non-linéaires des processus environnementaux dont on aura perturbé l’équilibre vont débouler (en fait c’est déjà en cours, mais chut !). Il était pourtant pas mal cet incroyable équilibre, fruit de 4 milliards d’année d’une infinie patience évolutive, que nous avons connu ! Mais l’Homme a pensé qu’il pouvait, en quelques décennies, faire mieux …..
Quand je vois aujourd’hui ce que font (et pas que professionnellement) l’immense majorité de mes anciens élèves, je me dis que j’ai failli. Pas seul bien sûr mais c’est globalement (et ça n’est pas quelques contre-exemples qui changent statistiquement cette évidence) un terrible échec. Peut-être ont-ils senti finalement la superficialité de ce qu’on aura vaguement essayé de faire. D’autant que le reste de la société faisait clairement encore pire.
Ce serait pourtant un beau projet pour l’Education Nationale ! Aux antipodes des prétendus « projets d’établissement » qui dégoulinent de bien-pensance pour masquer une vacuité abyssale.
Je continue profondément de penser qu’il faut poursuivre ce travail pédagogique en étant meilleurs (en changeant clairement de braquet !) et je vous souhaite d’y arriver, pour qu’enfin les générations à venir soient plus éveillées, sensibles et responsables. Mais en parallèle à ces actions de fond et de moyen terme, il faut aussi des engagements plus concrets à court terme.
Il y a une guerre à mener et il faut des troupes sur le pont, tous les jours, du matin au soir, et pas seulement quand il reste un peu de temps et d’énergie après une journée de cours. Je n’arrive plus (et en fait depuis longtemps) à me convaincre à la fin d’une journée que je que j’ai fait de ces heures était effectivement le plus important à faire.
Bonne chance à tous.
 

Témoignage de Lucie, enseignante en primaire à Granville en Normandie. Lucie Auvray nous a contacté dés la publication de l’Appel. Elle avait déjà décidé de se mettre en grève reconductible. Elle est maman de 2 petites filles, son conjoint est agriculteur bio.

Je suis Lucie, enseignante en école primaire depuis dix ans, passionnée par ce métier. J’ai décidé de me mettre en grève dès maintenant. Je ne suis plus capable de supporter l’ignominie de notre société. Je ne suis plus capable d’avoir chaque jour des enfants avec moi, dans ma classe, qui ont confiance en moi, alors que je sais que notre système leur sabote leur avenir. Je ne peux pas leur dire, et je ne veux    plus leur mentir en leur faisant croire que demain sera comme aujourd’hui. Je suis souvent triste de voir mon environnement saccagé, la nature qui souffre, les oiseaux qui disparaissent, les champs qui sont bétonnés…. J’ai peur pour l’avenir de mes filles, de l’humanité, du vivant… Je suis en colère de voir l’ignorance, ou (encore pire) la paresse de chacun qui refuse de changer, « parce que de toutes façons, vu ce que font les chinois… », et puis, « quand même, les sports d’hivers, les voyages en avion, ben moi j’aime ça, hein », etc. Je suis furieuse de voir une poignée de criminels piller nos ressources, exterminer des espèces pour s’enrichir toujours plus, en exploitant les trois quarts de l’humanité, et nos dirigeants inactifs et collaborant avec ces crapules. J’ai honte de voir des enfants, nos enfants, se mettre en grève scolaire pour défendre le futur que nous, adultes, sommes en train de leur saccager.Comment cette société a pu nous dégénérer au point de préférer notre luxe à la survie de nos enfants? Au point de nous rendre si apathiques face à la souffrance actuelle du monde ? Je me mets en grève. Je ne veux plus participer à ce système inconscient. Je veux construire un autre monde, ancré, humble, simple, joyeux, résistant, et avec un futur (peut-être) possible. L’école doit devenir un lieu de changement, de prise de conscience des adultes, d’éducation sensée des enfants, en lien avec la nature.