Les liens entre question écologique et question sociale

Voici une sélection de documents accompagnés de questions pour traiter la question du lien entre la question écologique et la question sociale. L’enjeu est de faire comprendre aux élèves que ces deux questions ne s’opposent pas, bien au contraire : on montre grâce à ces documents que les inégalités sociales ont des répercussions écologiques (plus on est riche, plus on pollue), que ces inégalités aggravent le problème (théorie de Veblen sur la rivalité ostentatoire) et que nier les problèmes écologiques fait partie de la stratégie des plus favorisés pour continuer à s’enrichir.

Cette séquence se prête particulièrement bien au traitement du thème d’EMC en 1ère, la « fragilisation des liens sociaux ».

Doc 1. Rapport sur les inégalités d’Oxfam en 2019. Infographie du journal La Croix.

Oxfam dénonce des inégalités de richesse toujours plus grandes dans le monde

Doc 2. Lucas Chancel : « Plus on est riche, plus on pollue ». Article paru dans la revue en ligne Reporterre (https://reporterre.net/Lucas-Chancel-Plus-on-est-riche-plus-on-pollue 13/06/2018)

Lucas Chancel est chercheur en sciences sociales, spécialisé en économie des inégalités et en sciences de l’environnement. Il codirige le Laboratoire sur les inégalités dans le monde et a publié le Rapport sur les inégalités mondiales

Reporterre — Où en sont les inégalités dans le monde ?

Lucas Chancel — Elles sont plus élevées qu’il y a quarante ans. Elles augmentent partout, mais pas au même rythme. Les trajectoires peuvent être différentes selon les pays ou les blocs régionaux, ce qui montre qu’il n’y a pas de fatalité à la hausse de ces inégalités, pas de tendance déterminée par les nouvelles technologies ou la mondialisation. En fait, ce sont des choix politiques qui provoquent, ou non, cette hausse des inégalités. […]

Est-on encore en démocratie, quand 1 % de la population s’arroge une part disproportionnée du revenu et du patrimoine global et dispose donc de puissants moyens pour influencer l’opinion publique ?

La question se pose. Peut-on être en démocratie s’il y a des écarts de revenus et de richesses trop importants, et si une partie de la population est proche du seuil de pauvreté ou sous le seuil de pauvreté ? Et puis, deuxième question, peut-on appeler démocratie un système où l’inégalité de richesse se transforme en inégalité politique et médiatique ? Cela constitue un cercle vicieux de l’inégalité dans le sens où, une fois que les plus aisés ont accaparé le pouvoir politico-médiatique, ils ne vont pas faire des réformes permettant de réduire les inégalités, mais plutôt des réformes augmentant les inégalités. […] On est dans une démocratie de basse intensité.

Pourquoi les riches ne veulent-ils pas changer, en fait ? Pourquoi sont-ils aussi convaincus du bienfait de leur système ?

Des individus à haut revenu et à haut patrimoine sont conscients du risque démocratique, économique, social et écologique d’une trop forte concentration des richesses. Pour les autres, je pense que l’intérêt privé de base les domine. À long terme, ils comprennent que tout le monde y perd, mais à long terme, ils seront morts, donc (rires)… Chacun peut se financer la meilleure école pour ses enfants, le meilleur médecin, le meilleur système de sécurité et de défense. Ils ne trouvent pas vraiment d’intérêt dans la puissance publique. On a aussi cet exemple fascinant et extrêmement inquiétant de ce bunker dans le Kansas où les super-riches pourront se réfugier en cas de catastrophe. Ce n’est plus de la science fiction, c’est la réalité. Des individus extrêmement fortunés peuvent s’extraire d’un choc climatique ou militaire ou d’une crise sanitaire, en allant se mettre sous terre, à coups de millions de dollars. Et ça leur permet de se dire qu’ils peuvent continuer à payer le moins d’impôts possible et à ne pas protéger l’environnement.

Ils s’apprêtent à vivre dans des caves…

Oui, mais avec des écrans LCD qui projettent des images de la campagne. Ce n’est évidemment pas un futur gai. Mais cela peut nous aider à comprendre pourquoi ces individus ne voient pas le péril venir.

Y a-t-il un lien entre les inégalités de revenus et les émissions de gaz à effet de serre ?

Le niveau de revenu et de richesses est fortement corrélé au niveau de pollution. Plus on est riche, plus on pollue, c’est très net. Et après, il y a l’inégalité symétrique d’exposition à la pollution, c’est-à-dire que les plus pauvres sont les plus sensibles aux chocs environnementaux, et souvent – mais pas toujours – les plus exposés.

Si on dit « il faut réduire l’inégalité parce que c’est injuste et il y a beaucoup de pauvres qui souffrent en bas de l’échelle », beaucoup de gens vont dire « oui, mais ça s’est toujours passé dans l’histoire ». Si on dit « les riches polluent le plus et donc mettent en danger l’avenir de l’humanité », il y a un argument plus fort.

Cela rejoint l’évolution de la prise de conscience que si l’on continue sur cette tendance, on va vers des crises écologiques majeures. Mais ce qui fait aujourd’hui le plus peur à de grosses fortunes aux États-Unis et en Europe, c’est la crise démocratique. Le fait aussi que les inégalités provoquent des dysfonctionnements dans le système et donc le risque d’une crise économique majeure est un des arguments qui parlent. Selon moi, il faut avancer les trois arguments ensemble : l’argument écologique, l’argument économique et l’argument politique. Cela fait un bon cocktail pour dire, d’un point de vue utilitariste : même si on oublie les considérations éthiques ou morales, il y a des arguments extrêmement forts pour réduire ces inégalités.

Doc 3. Vidéo extraite de « The Independant » : Les bunker pour ultra-riches dans le Kansas.

Voir aussi l’article paru dans le Crieur N°7 en 2017 « Quand les ultra-riches se préparent au pire« 

Doc 4. Extraits vidéo. Etude de la conférence perturbée « Comment les riches détruisent la planète ! et comment les en empêcher ». 8 avril 2018.

  • Le conférencier :  Hervé KEMPF : ancien spécialiste environnement au Monde, dont il est parti pour des désaccords sur la ligne éditoriale, Hervé Kempf a fondé le journal Reporterre, quotidien indépendant et gratuit de l’écologie
  • Les clowns : Fred et Mathieu des Chiche Capons (https://www.leschichecapon.com/la-compagnie/)

Premier extrait 50’10-56’26 : les très très riches

Résumé : Il s’est constitué depuis une trentaine d’années une oligarchie de gens très très riches. Ce groupe concentre les richesses et les pouvoirs et a des habitudes de consommation extrêmement dépensières

Questions

  • Ce petit groupe très très riches qui contrôle le pouvoir économique, politique, médiatique…. a une responsabilité dans les crises écologiques ? Laquelle ?

Celle d’être le responsable d’une surconsommation totalement hallucinante. (voir en annexe l’article sur Elon Musk et sa voiture dans l’espace)

  • Que nous enseigne l’histoire de Nauru ?

Une île qui s’est développée très rapidement à cause du phosphate. Une richesse très rapide mais très courte. L’île a replongé dans la plus grande pauvreté et sert aujourd’hui de prison pour les migrants dont l’Australie ne veut pas. Autrement dit, le développement est réversible. Une société très riche peut, si elle s’est mal protégée, s’effondrer complètement.

Paysage de Nauru.

Source : https://roadsandkingdoms.com/2015/no-way-nauru/

Deuxième extrait 1.01’45 – 1.05’21 : la « rivalité ostentatoire »

Résumé : Dans toutes les sociétés les individus veulent rivaliser et souhaitent étaler leurs richesses : une « distinction provocante » / une rivalité ostentatoire. C’est la classe la plus riche qui donne le ton, qui fixe les standards de ce que l’on doit avoir, porter, faire… pour montrer qu’on a réussi.

Questions

  • Comment fonctionne la société d’après Veblen ?

On cherche toujours à paraître plus riche que son voisin, on va systématiquement chercher à copier les habitudes de la classe sociale au-dessus de la nôtre.

Finalement, on tend tous à imiter le mode de vie de ceux qui sont tout en haut de la société, qui se retrouvent en position de dicter une conduite à tous les autres.

Troisième extrait 1.07’46 – 1.10’36 : la mondialisation s’en mêle

Résumé : La mondialisation fait que tout le monde sait ce qui se passe partout….Diffusion planétaire du modèle de consommation dicté par les plus riches. La consommation nécessitant toujours plus de ressources, la boucle est bouclée avec la question des crises écologiques. Lien avec l’écologie : les plus riches consomment, ils poussent à la croissance et à la production et répandent un modèle culturel de surconsommation qui se diffuse dans le monde entier, aboutissant très rapidement à l’épuisement des ressources disponibles.

Questions

  • En quoi la mondialisation amplifie-t-elle ce phénomène ?

Les standards de consommation diffusés par les plus riches se diffusent partout. Tout le monde ne consomme pas de la même manière, mais tout le monde est attiré vers le même modèle.

  • Quel lien peut-on faire avec l’écologie ?

Lien avec l’écologie : les plus riches consomment, ils poussent à la croissance et à la production et répandent un modèle culturel de surconsommation qui se diffuse dans le monde entier, aboutissant très rapidement à l’épuisement des ressources disponibles

Doc 5.  « Le peuple a été froidement trahi » Entretien de Bruno Latour pour le média en ligne Là-bas si j’y suis.

https://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/bruno-latour-le-peuple-a-ete-froidement-trahi

On ne comprend rien aux positions politiques dans le monde depuis 50 ans, si l’on ne donne pas une place centrale à la question du dérèglement climatique et surtout à sa dénégation. Tel est le point de vue développé par le philosophe Bruno Latour, l’un des penseurs français les plus connus au sein du monde anglo-saxon, dans son nouveau livre : Où atterrir ? Comment s’orienter en politique (La Découverte).

Une réflexion extrêmement originale sur notre situation, qui entend lier dans une même chaîne de causalité la dérégulation financière depuis les années 80, la climato-scepticisme qu’on a vu croître dans les années 2000, et l’extension actuellement vertigineuse des inégalités.

Tout se passe au fond comme si, compte tenu des perspectives climatiques désastreuses, un petit groupe de super riches en était arrivé à la conclusion qu’il n’y avait plus assez de place sur terre pour tout le monde, et que l’idée même d’un monde commun devait être abandonnée.

Dans un des livres certainement les plus engagés qu’il ait écrit, Bruno Latour évoque un peuple « froidement trahi » par une classe mondiale de puissants, qui ont abandonné en cours de route l’idée de réaliser la croissance pour tous, faute d’une planète capable de supporter la démesure du système qu’ils lui ont infligé, mais se sont bien gardés d’en avertir les populations.

Remarque : l’ouvrage de Bruno Latour est passionnant, mais pas simple à aborder avec des élèves qui ont vite l’impression qu’on leur diffuse une « théorie du complot ». (Ce que l’auteur souligne lui-même p.34 de son livre et note 19)

Piste de débats pour les élèves

  • Que vous inspire ces différents documents ?
  • Vous sentez-vous en accord avec le message qu’ils transmettent ?
  • Que pensez-vous de la théorie de Veblen sur l’ostentation ? Est-ce que vous vous reconnaissez dans cette théorie ?
  • « Ils ne trouvent pas vraiment d’intérêt dans la puissance publique» (Chancel) , « un petit groupe de super riches en était arrivé à la conclusion qu’il n’y avait plus assez de place sur terre pour tout le monde, et que l’idée même d’un monde commun devait être abandonnée. » (Latour). Comment comprenez-vous ce rapport des personnes les plus riches à la collectivité, à l’intérêt général ? Qu’en pensez-vous ?
  • Pensez-vous qu’il faille limiter les richesses dans une société ?
  • Vous sentez-vous responsable de la situation écologique dans laquelle nous sommes ?
  • «  ces gens très très riches…. On aimerait tous être à leur place » dit Mathieu, le clown dans la conférence. Qu’en pensez-vous ?