Suite des appels à bifurquer, déserter en 2022
« Si nous prenons la parole aujourd’hui, c’est pour dénoncer cet énième forum d’orientation professionnelle qui ne promeut qu’une vision passéiste du futur qui nous est réservé.
Commençons avec un exemple symptomatique : en 2023 la production d’énergie de Total repose à 99 % sur le pétrole et le gaz. Malgré les alertes du GIEC et de l’Agence Internationale de l’Énergie, l’entreprise lance le projet EACOP en Ouganda, qui au delà de son absurdité écologique sans nom, menace de polluer un bassin versant dont dépendent 40 millions de personnes. Pourtant malgré les 19 milliards d’euros de bénéfices, elle est incapable de dédommager les personnes expropriées de leurs terres. Alors quand l’administration d’AgroParisTech prétend dans un communiqué qu’elle ne croit pas qu’il y ait de bonnes ou de mauvaises entreprises, nous rions jaune. Peut-être n’a t-elle jamais entendu parler du concept de justice ? Nous tenons à lui signaler d’une part que TotalEnergies est en ce moment-même en procès pour greenwashing, d’autre part que le parlement européen a voté un résolution contre le projet EACOP. Aux personnes qui dirigent cette école : combien de preuves supplémentaires vous faut-il pour admettre que TotalEnergies n’est pas une entreprise éthique ?
Nous nous sommes attaqués à Total car elle incarne le capitalisme délirant, l’extractivisme fou, et le néocolonialisme dans toute sa splendeur. Ainsi nous aurions pu aussi nous attaquer à Danone, assignée en justice pour la gigantesque pollution plastique qu’elle engendre. A Nestlé qui vend des produits issus de pratiques esclavagistes. Ou encore à l’Oréal dont la discriminations raciale à l’embauche a été reconnue par la justice. Pour se justifier de les recevoir la direction a prôné l’ouverture et la diversité. Mais avant de se soucier de la diversité des entreprises qui sont présentes ici, peut-être que nous devrions-nous intéresser à la diversité des étudiants de cette école. Faut-il rappeler que nous sommes 70 % à être issu.es de classes socioprofessionnelles favorisées ? Nous sommes majoritairement issu.es de la reproduction sociale, et ce forum d’insertion professionnelle alimente cette logique : les entreprises dominantes viennent recruter les personnes dominantes.
Bien sûr, certaines initiatives présentes aujourd’hui sont louables, et nous tenons à reconnaître le travail considérable des étudiant.es qui se sont engagé.es pour organiser ces journées en tentant de les faire évoluer. Malheureusement, la venue de groupes mortifères gâche simultanément leur travail et notre avenir. Pour se défendre, l’administration d’AgroParisTech prétend la nécessité d’un débat contradictoire fondé sur l’argumentation rationnelle. Mais soyons très clairs à ce sujet : nous ne débattons pas avec celles et ceux qui fabriquent la désinformation. On ne peut pas débattre avec ces multinationales ultra-formées à la communication.
Qui pourrait nous contredire en affirmant que TotalEnergies n’est pas un acteur majeur du changement climatique ? Qui pourrait nous contredire en disant que TotalEnergie ne le sait pas depuis 50 ans déjà ? Pensez-vous qu’en 50 ans, personne n’est allé essayer de les faire changer de l’intérieur ? Pensez-vous que nous, ingénieur.es, nous faisons le poids dans ces grands groupes, face aux profits ? Face aux actionnaires ? Face au capitalisme ? Les rejoindre quand même, ce serait faire le choix du déni confortable, ce doux rêve d’un « développement durable » par la « croissance verte » et la force motrice de l’innovation. Le capitalisme intègre la critique pour survivre : il propose des changements à la marge pour éviter toute remise en question. Nos parents souffraient de travailler pour des patrons rigides dans des bureaux étroits et gris ? Maintenant nous pouvons collaborer avec notre « n+1 » dans un « open space », en toute convivialité grâce à notre « hapiness manager ». nous soufrons parce que nos entreprises polluent et perpétuent des logiques de domination ? Pas de soucis, nous nous en sortions avec de la RSE et des plantes dépolluantes.
Ne voyez-vous pas le ridicule de ces fausses solutions ? Ce que nous vous proposons à la place, c’est d’accepter qu’il y a urgence. Urgence à agir, et à échanger, pour ensemble créer de nouveaux horizons. Accepter le fait qu’aujourd’hui le changement passe par la lutte contre la sixième extinction de masse. Que le changement passe par la lutte contre la privatisation des communs. Contre les logiques de domination, qu’elles soient coloniales, sexistes, de classe ou bien d’autre encore. Que non, nos diplômes ne nous mènent pas à devenir les « talents d’un planète soutenable ».
Le changement consiste à se battre pour la survie du vivant. Pour une agriculture paysanne. Pour que tout le monde ait accès à des conditions de vie matérielles dignes. A plus petite échelle, à faire en sorte que ces forums d’orientation professionnelle ne soient plus un marché où les entreprises achètent leur droit de présence pour nous vendre leurs offres de stages et d’emplois. Mais plutôt un événement au cours duquel on puisse réfléchir à des perspectives d’avenir souhaitables et à la hauteur des crises que nous traversons. Enfin, à toutes celles et ceux qui nous regardent et qui doutent en silence : rejoignez-nous. Il est grand temps que ce doute fasse plus de bruit. Ne restons pas immobiles face à la destruction du vivant. Organisons-nous collectivement pour proposer des alternatives justes et heureuses.
Réunissons-nous dans la lutte face à un système en bout de courses. Ensemble nous avons une énergie que Total ne pourra jamais nous fournir : l’espoir. »
