Une ZAD éducative ? soutien du collectif EPLP à la ferme-école de Bagnolet

Par le collectif Enseignant.e.s Pour la Planète

Une Zone Educative A Défendre : serait-on à Bagnolet en train d’enrichir le célèbre acronyme ? A l’heure où la loi Climat et Résilience fixe un objectif de « zéro artificialisation nette » en 2030 et où les alarmes du GIEC se font plus pressantes que jamais, les appels à la débitumisation des cours d’école se multiplient comme le minimum que nous devons à nos enfants qui vont grandir dans un monde en surchauffe. Dans ce contexte, le projet de la mairie de Bagnolet, qui veut raser une ferme-école pour construire un complexe scolaire en béton est une pure aberration. Le collectif EPLP vous présente dans cet article cette ferme-école, les bénéfices pédagogiques considérables qu’elle apporte et les moyens de combattre le projet visant sa destruction.

URGENT : Soutenez la Bergerie! en signant ici la pétition et en interpellant les autorités responsables

La Bergerie en quelques mots

Juillet 2021 : Les travaux de destruction de la Bergerie sont imminents. Malgré un contre-projet réaliste et enthousiasmant, la démolition est programmée pour les semaines à venir. Seule une mobilisation massive, dépassant le cadre local, peut maintenant éviter la destruction de ce lieu unique et si précieux.

Où sommes-nous? Aux Malassis, quartier excentré et populaire, fortement bétonné de Bagnolet (93). L’association Sors de Terre y a posé ses valises en 2008 : d’un terrain inoccupé à côté de l’école maternelle Pêche d’Or, elle décide de faire une ferme et une bergerie. Comment résumer tout ce qui s’est passé alors? Des chèvres et des moutons sont devenus les compagnons de récréation des enfants de l’école. Les gens du quartier, des dizaines de familles, des centaines d’enfants de tous âges sont devenus peu à peu des habitués du lieu. Petits et grands, résidents du quartier, écoliers de la maternelle, adultes handicapés ou en réinsertion…. la Bergerie ouvre grand ses portes à tou.te.s pour proposer des activités de plantations ou de chantiers de co-construction. C’est ainsi que des cabanes de bric, de broc et de branchage, des bancs publics dans la rue, l’enclos d’un patûrage en pied d’immeuble, des plants de sauge et de framboisiers sont « sortis de terre ». La bergerie est aussi devenu un lieu de rencontres où les gens du quartier viennent papoter sous les arbres, faire jouer les enfants dans l’herbe, écouter un concert ou observer les animaux. On passe rarement devant la Bergerie sans trouver quelqu’un qui soit en train de la regarder, tout simplement.

Les chèvres rentrent de promenade

La Bergerie est donc devenu un lieu très important pour les Bagnoletais.e.s. Et pourtant il est question de la détruire et c’est cette menace de destruction qui a amené le collectif EPLP à soutenir l’association Sors de Terre et tou.te.s ceux/celles qui luttent pour le maintien de la bergerie là où elle est.

Les raisons de la discorde? Bagnolet a connu un véritable boom démographique ces dernières années. La bergerie avec ses arbres doit être rasée pour permettre la construction d’une nouvelle école, plus grande et plus moderne. Evidemment, personne ne s’oppose à la construction de cette école sur le principe. Evidemment, les enfants de Bagnolet ont besoin d’une école confortable et adaptée. La question n’est pas là.

La question est celle du modèle d’école que l’on va construire. Quelle école voulons-nous pour nos enfants ?

La municipalité présente le projet d’une infrastructure massive, un véritable complexe, qui réunit une crèche, un centre de loisir et une école de 10 classes. Le tout dans un bâtiment à étages en béton et baies vitrées dont l’emprise au sol suppose de raser la bergerie. L’association Sors de Terre présente un contre-projet, une véritable « ferme-école » : une école de plein pied, entièrement construite en bois, où l’école et la bergerie se retrouvent imbriquées.

Vous trouverez ici la description de ces deux projets portés par la municipalité et par Sors de Terre.

Le regard d’EPLP

Commençons par dire qu’EPLP et la Bergerie se connaissent de longue date : l’association Sors de Terre a signé l‘Appel pour la débitumisation des cours d’école que nous avons lancé en mars 2020. Il avait été question avant la pandémie que la Bergerie accueille les réunions d’information d’EPLP et même son « université d’été ». Ce rapprochement n’est pas un hasard : la ferme-école des Malassis est finalement l’exacte concrétisation de ce à quoi les membres d’EPLP aspirent dans leurs établissements.

Quels bénéfices pédagogiques apporte la ferme-école dans sa forme actuelle ?

Nous avons interrogé l’une des enseignantes de l’école pour répondre à cette question. Favorable (comme le reste de son équipe, direction comprise) au maintien de la bergerie sur le site, cette enseignante a travaillé dans de nombreuses autres écoles du département accueillant des publics similaires et se sent donc en mesure de faire des comparaisons. Selon elle, la bergerie offre tout d’abord un cadre particulièrement agréable pour l’équipe pédagogique et pour les élèves, grâce notamment à la vingtaine de grands et beaux arbres et à toutes les plantes qui ornent le site, ombragé et verdoyant. Voir déambuler les chèvres, entendre doucement bêler les brebis : les animaux jouent aussi un rôle dans ce paysage visuel, sonore et olfactif. Cela crée un cadre particulièrement apaisant, et cela a des conséquences très positives sur l’accueil des élèves, notamment des plus petits. Alors que les premières semaines de classe en maternelle sont souvent difficiles (angoisses de séparation, pleurs….), la présence des animaux attire les enfants, fait « diversion » et leur permet de passer en douceur cette transition souvent délicate ailleurs. Cet effet apaisant se prolonge toute l’année : notre collègue assure avoir constaté une différence nette d’ambiance dans cette école, avec des élèves moins agités et plus apaisés. Elle trouverait d’ailleurs intéressant de creuser les effets que pourraient avoir la fréquentation encore plus intensive des animaux de la bergerie pour les enfants dits « à profils spécifiques », qui présentent de véritables troubles de l’apprentissage ou du comportement.

La cour d’école jouxte les enclos des moutons, le spectacle est au rendez-vous à chaque récréation

La bergerie dans son aspect actuel offre aussi des opportunités pédagogiques précieuses : les essences diverses, les feuillages variés permettent aux élèves d’appréhender la diversité des arbres, le rythme des saisons, le passage de la fleur au fruit etc…. L’enceinte de la bergerie, à laquelle les classes ont facilement accès, permet aussi de découvrir la diversité des plantes, leurs couleurs, leurs odeurs. Ils peuvent toucher, manipuler, sentir, retourner les feuilles… Ils peuvent approcher, toucher les animaux, les sentir et les entendre, assister à des moments forts tels que la traite ou la tonte, ou la ponte d’un œuf (nous y reviendrons). Dans beaucoup d’autres écoles, ces observations ne peuvent se faire que dans les livres, sur des photos ou des vidéos. Notre collègue insiste sur ce point : les enfants sont volontiers attirés par la nature, mais peuvent en avoir finalement des images assez tronquées et réductrices (un arbre serait toujours vert, aurait toujours des feuilles, les animaux ne se battent pas etc….), issues des représentations qui en sont faites dans les livres et jeux pour enfants. La bergerie permet de faire de cet intérêt une véritable opportunité d’apprentissage, en développant le sens de l’observation et en éduquant le regard des élèves à la diversité du vivant, à ses forces et à ses fragilités. Car si la bergerie a des airs de campagnes, il ne s’agit pas d’introduire de la confusion chez les enfants : ils comprennent bien qu’ils sont en ville et que le lieux dans lequel ils évoluent est rare et précieux.

Scène de vie quotidienne à la Bergerie

Quels problèmes pose le projet de complexe d’accueil porté par la mairie ?

La municipalité a organisé un concours d’architecture pour réaliser ce projet : plus d’une centaine d’architectes auraient déposé un projet. Au vu du résultat, on ne peut que s’interroger sur la méconnaissance profonde des spécificités des bâtiments scolaires dont les jurys et les lauréats de ce concours ont fait preuve. Le bâtiment tient plus du hall d’aéroport que de l’école maternelle.

Un lieu totalement inadapté à son public

Alors que les enfants de Pêche d’Or évoluent aujourd’hui dans une structure à taille humaine, le projet qui est présenté est celui d’un véritable complexe, accueillant un centre de loisir, une école maternelle de 10 classes et une crèche de 30 berceaux.

Image issu du dossier présenté par la Mairie et consultable sur le site de la ville

La taille de ce bâtiment est la première chose qui interpelle : c’est un bâtiment massif, gigantesque surtout pour des tout-petits. Il s’agit d’un bâtiment à étage : le rez-de-chaussée est réservé au centre de loisir et sera donc vide la majorité du temps (le centre de loisir ne fonctionne que le mercredi et pendant les vacances, et n’accueille qu’une partie des élèves). Les classes, le dortoirs, les cours de récréation et la cantine sont prévus dans les étages, et un jardin sur le toit, ce qui inquiète l’équipe enseignante : d’abord pour les difficultés de déplacement que cela occasionne (un escalier pour un enfant de 2ans1/2 et représente un effort physique important), les risques de chute et de bousculades, et pour la sécurité et le confort des enfants dans ces cours en hauteur.

Projet municipal

D’autre part, pour les problèmes que cela pose en termes d’acquisition de repères spatiaux fondamentaux. Notre collègue s’inquiète ainsi des cours en hauteur et du jardin sur le toit. Elle fait une comparaison avec les contes traditionnels : « il faut d’abord découvrir séparément les Trois Petits Cochons, Blanche-Neige et le Petit Chaperon Rouge. Ensuite on peut s’amuser à faire des mélanges, mais si on commence par là, on brouille les repère des enfants. C’est pareil avec le jardin sur le toit : les enfants doivent d’abord intégrer qu’un arbre pousse au sol, en pleine terre. Leurs repères s’en trouvent fortement brouillés sinon. » Idem pour les cours de récréation en  étage : les enfants doivent apprendre la différence entre le dehors et le dedans avant d’être mis dans une situation hybride de « dehors suspendu ». On dira que les enfants pourront se familiariser avec tout cela hors de l’école ? Peut-être, mais peut-être pas tous et il est important que l’école rectifie les inégalités qui peuvent précisément se nouer à ce moment de l’enfance si déterminant.

La fin de la cohabitation avec la bergerie

Notre collègue nous a décrit un moment fort pour les enfants de sa classe, quand une poule est entrée dans la salle de classe, d’abord hésitante puis plus assurée. Ne pas l’effrayer, l’accueillir, respecter l’animal comme un nouveau « camarade de classe » : voilà le genre d’expériences toutes simples, à hauteur d’enfants, qui instaurent des relations humains-animaux sur des bases saines. Mais avec le projet municipal, ce genre « d’incident » ne sera plus possible. Si un chemin d’accès est prévu pour aller à la Bergerie, elle se trouve déplacée et reléguée à l’extérieur de l’école. C’en est fini donc de la cohabitation spontanée entre les enfants et les animaux, du partage de l’espace entre eux. Ce n’est pas anodin : une bergerie hors de l’école, c’est un zoo. Les animaux ne sont présents aux enfants que lorsque la démarche de les emmener les voir est faite, sinon ils peuvent tout aussi bien les oublier. Une ferme-école, c’est au contraire l’application concrète de l’idée de la cohabitation sans condition avec le reste du vivant que nous devons réapprendre. La présence des animaux devient une évidence pour les enfants, et les animaux sont appréhendés dans leur réalité.

Prenons un exemple : la pondaison. Combien d’enfants (et combien d’adultes) savent comment pondent les poules? Quel effort cela leur demande, à quelle fréquence en sont-elles capable? Cela semble anodin? Quand on connaît les réponses à ces questions, quand on a vu et entendu une poule pondre, on pense un peu différemment tout de même sa consommation d’oeufs. Idem pour la gestation des brebis et des chèvres : il ne s’agit pas de rendre tous les enfants de l’école réfractaires à la consommation de viande et d’oeufs, mais simplement de leur apprendre quels processus naturels sont derrière cette consommation, qui doit se faire en pleine connaissance de cause, dans le respect du vivant. Gageons effectivement que des enfants qui auront entendu pondre les poules depuis leur salle de classe, qui auront pu constater qu’elles pondent plus au printemps qu’en hiver etc…. verront d’un oeil neuf les étalages de boîte d’oeufs dans les supermarchés. Se priver de cette opportunité est d’autant plus regrettable que la mairie s’est courageusement lancée dans une expérience de repas 100% végétariens dans les cantines de la ville : cette initiative serait sûrement encore mieux comprise et acceptée si tous les enfants de la ville pouvait côtoyer une bergerie comme celle des Malassis.

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Scène de la vie quotidienne à la Bergerie

Une école anti-écologique et à rebours des exigences de justice sociale

Evoquons ici rapidement la dimension anti-écologique de ce projet : il implique la bétonisation de l’une des rares parcelles de pleine terre qui existe aujourd’hui. Sa construction en béton suppose des fortes émissions de CO2 (transport des matériaux) et nécessite d’utiliser une ressource qui devient critique : le sable. L’idée d’un jardin sur le toit apparaît pour le moins fantaisiste alors que l’on constate une hausse de la fréquence des canicules.

Mais ce projet est aussi anti-social, contrairement à ce qu’il prétend. Raser la bergerie, c’est détruire l’un des rares espaces verts de ce quartier. En temps de canicule ou de confinement, les habitants du quartier qui n’ont bien souvent ni jardin ni balcon peuvent y trouver un minimum d’espace et de fraîcheur. Et l’on sait bien que ces tendances vont aller en s’accentuant : les quartiers populaires, mal isolés, mal construits, sont déjà parmi les principales victimes du dérèglement climatique.

Refuser le projet de ferme-école, c’est aussi anti-social : les enfants des quartiers populaires qui vivent dans un tissu urbain particulièrement dense et minéralisé sont les premiers à souffrir de ce que Richard LOUV a désigné sous le terme de « Nature-Deficit Disorder® » en 2005 dans son livre Last Children in the Woods, un problème qui engendre nombre de troubles et de dysfonctionnements physiques et cognitifs. Les appels pour refuser les « écoles-casernes » et inciter les enseignant.e.s à faire classe dehors se multiplient pour améliorer le bien-être des enfants et reconnecter leurs élèves avec la « nature ». Chacun comprend maintenant que l’intérêt des enfants est bien là. Pour preuve, le modèle de ferme-école est déjà encensé dans les milieux les plus favorisés, qui peuvent scolariser leurs enfants dans les écoles privées de type Montessori ou Steiner, qui adoptent les unes après les autres ce modèle de cohabitation enfant-animal. Pourquoi priver les enfants de Bagnolet de ce type d’école, publique et gratuite ? Pourquoi gâcher cette occasion unique de montrer que le service public d’éducation est capable du meilleur pour nos élèves ?

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Le projet alternatif porté par l’association : plus écologique, plus pédagogique et moins coûteux.



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Que va-t-il se passer ?

Nous l’avons dit, les travaux de destruction de la Bergerie sont imminents. De nombreuses manifestations d’opposition émanent de la population, des parents d’élèves, d’élu.e.s, de l’équipe enseignante et bien sûr de l’équipe de la bergerie, qui est prête à occuper le site pour le défendre contre les pelleteuses quand elles arriveront. La mairie, aux couleurs pourtant socialiste et écologiste, a choisi de ne pas en tenir compte et d’ignorer le projet alternatif proposé. Des arguments financiers (qui ne tiennent pas debout, le projet alternatif étant beaucoup moins coûteux à réaliser) et calendaires (l’école doit ouvrir en 2023) sont avancés, comme si le seul trésor à préserver n’était pas celui des ressources de notre planète, comme si le seul calendrier à respecter n’était pas celui de l’urgence climatique.

Soutenez la Ferme-école !

en signant la pétition et en interpellant les autorités responsables : https://agir.ouialafermeecoledebagnolet.fr/

en venant la visiter : Bergerie des Malassis, 7 rue Raymond Lefevre, 93170 Bagnolet. Bus 115 et 76, ouvert tous les jours de 17h à 20h. Consulter la page Facebook pour les concerts.

Pour en savoir plus :

écoutez Radio Bergerie, édition du 13 juin 2021 « Parole anti-béton des Malassis et d’ailleurs »

Lisez Reporterre : deux articles, l’un de 2021et l’autre plus approfondi de 2019

Ecoutez « C’est bientôt Demain » sur France Inter, édition du 29 janvier 2021 « Debout les Malassis »

Scène de vie quotidienne à la Bergerie