Voici le contenu de notre lettre ouverte à Jean-Michel Blanquer et François de Rugy publiée ce matin sur le blog de Médiapart et mise en Une par la rédaction du journal.
Messieurs les ministres,
Nous sommes un collectif d’enseignants, exerçant de la maternelle au supérieur. Nous avons lancé, en début d’année, un appel, celui des Enseignant.e.s Pour la Planète. Il a été signé par 5000 collègues, originaires de toute la France.
Vendredi 19 avril, nous avons été reçus par deux conseillers de vos ministères respectifs. La discussion a été très aimable sur la forme, mais très inquiétante sur le fond. Voilà pourquoi vous recevez cette lettre.
Messieurs les ministres, les médias et l’opinion publique se font aujourd’hui l’écho des cris d’alarmes lancés par des milliers de scientifiques depuis des années. Nos élèves entendent à la télévision ou sur internet que l’humanité pourrait disparaître, que des épidémies, des évènements climatiques extrêmes, des famines et des guerres sont possibles à court terme, y compris en Europe, que le vivant est menacé partout. « La fin du monde » entendent-ils comme une ritournelle. Peut-on imaginer plus angoissant ?
Et pourtant, rien de tout cela ne franchit les portes des salles de classe. Pour y faire face, nos élèves sont livrés à eux-mêmes, à la merci potentielle de guides manipulateurs et mal intentionnés. L’Education Nationale tient sur le sujet un discours vague, interrogatif, qui a 15 ans de retard sur les conclusions des scientifiques à présent unanimes sur les conséquences déjà visibles ainsi que sur les risques à venir.
Contrairement à ce que nous ont répondu vos conseillers, la gravité des crises, l’urgence absolue dans laquelle nous sommes, ne relèvent pas d’une « opinion idéologique ». C’est bien la raison, appuyée sur la science, qui commande de les regarder en face. Nos élèves, qui héritent d’un monde si abîmé, ne peuvent être laissés dans l’ignorance, la confusion ou bercés d’illusions quand, comme il nous l’est demandé dans le BO du 26/11/15, nous devons paradoxalement leur présenter « la vulnérabilité des espaces humains » mais « en insistant sur les capacités des sociétés à trouver les solutions permettant d’assurer un développement durable », capacités jamais démontrées. Refusant le déni, les non-dits et les vœux pieux, nous devons au contraire nous assurer que tous nos élèves entendront une réponse rationnelle, humaniste, républicaine et laïque à ces défis qui nous menacent.
Vos conseillers ont cru nous rassurer en nous apprenant que l’écologie serait l’une des dix thématiques retenues pour le Service National Universel, qui réunira pour deux semaines tous les jeunes de 16 ans en 2023. Cela nous a consterné : est-ce ainsi que vous gérez l’urgence ? Avez-vous compris dans quelle échelle de temps nous devions agir ?
Parlons des actes justement. Alimentation, énergie, transport des élèves et des personnels… nous avons évoqué avec vos conseillers le fait que l’Education Nationale devait revoir tout son fonctionnement et devenir exemplaire sur le plan écologique, et ce dans un délai court.
Ils ont eux-mêmes concédé que le gouvernement avait peu de projets en dehors d’une rénovation énergétique des bâtiments, et s’était emparé d’une proposition faite par les élèves du CNVL (Conseil National de la Vie Lycéenne) sur la traçabilité des produits proposés dans les cantines. Nous nous attendions à entendre parler circuits courts et visite à la ferme. Quelle ne fût pas notre surprise de découvrir qu’il s’agissait d’un projet de plateforme numérique qui assurerait sur les producteurs (ainsi mis en concurrence) une collecte et un stockage d’informations (blockchain). Messieurs les ministres, les bras nous en tombent : voilà un projet terriblement énergivore, ravageur pour les petits agriculteurs, et qui non seulement entretient l’illusion que la technologie sera la clef de tous les problèmes écologiques, mais aussi conforte l’élève dans sa posture de consommateur, avant tout client d’un marché, qui fait primer la question de son confort et son intérêt sur tout le reste, sans penser un instant au coût écologique et social de ses choix.
Nous ne sommes pas plus rassurés quand vos conseillers évoquent la proposition de ces mêmes élèves d’organiser des « cleanwalk » dans leur ville : ne pensez-vous pas que c’est le rôle d’un service public de dépolluer un territoire, que cette initiative dédouane de toute remise en question les industriels fabricants et qu’elle entretient le mythe d’une économie circulaire dont nous sommes en réalité à des années-lumières ? Rien ne va dans ces projets, mais ils sont révélateurs de ce qui dysfonctionne : l’Education nationale reste prisonnière de la fable du « consomm‘acteur » qui pratique les éco-gestes, comme si cela pouvait à soi seul régler quoi que ce soit.
Nous souhaitons tout autre chose : c’est d’une nouvelle culture dont nos élèves ont besoin, en devenant avant tout des producteurs de ressources, des réparateurs d’écosystèmes, des protecteurs du vivant et de leur environnement. Ces élèves doivent voir que toute l’institution se met en branle et accepte de changer de cap. Soyons clairs une fois pour toute : il ne s’agit en aucun cas de revenir « à la bougie » dans nos écoles. Notamment, nous ne versons dans aucune technophobie. En revanche, nous disons que l’école doit être exemplaire dans son refus du gaspillage et dans sa quête de sobriété à tous les endroits.
Sur le numérique par exemple, nous demandons que tous soient formés à des usages drastiquement économes des outils, et informés des coûts écologiques réels de ces outils. Nous réclamons aussi que soit pris en compte et payé le temps nécessaire au nettoyage des outils numériques (boîtes mails, ENT…) que nous sommes obligés d’utiliser, sans jamais avoir de temps dédié pour les gérer de façon responsable. Nous demandons aussi que soit réalisé un audit du numérique dans l’Education Nationale, afin de prendre la mesure de ce que coûte, d’un point de vue écologique, la numérisation et surtout le stockage sur des data-center de millions des cahiers de texte, de documents vidéos et sonores, de bulletins et livrets scolaires, de feuilles d’appel, et de la mettre en regard des progrès réels faits en matière de décrochage ou de réussite scolaire.
En la matière, nous nous inquiétons fortement de l’influence que quelques groupes exercent sur votre ministère, tel que Microsoft ou Google. Est-il vertueux que l’Education Nationale travaille avec des entreprises aussi controversées, alors que des logiciels libres, respectueux de la vie privée et infiniment plus sobres énergétiquement sont à disposition de chacun ?
Nous vous invitons donc à revoir à l’aune de ces considérations chacun de vos partenariats, et ce dans tous les domaines.
Messieurs les ministres, nos établissements doivent devenir les lieux où se prépare activement la société de demain. Aujourd’hui nos enfants, particulièrement les plus jeunes, passent leurs journées entre quatre murs et ne sortent que pour trouver un environnement toujours plus bétonné ou artificialisé. De leurs écrans à leurs terrains de foot en gazon , sol mort s’il en est, nos jeunes vaquent hors de tout écosystème. Il est de notre responsabilité de remédier d’urgence à cela.
Faisons cours dehors, allons lire sous les arbres, écrire sur les plages, allons marcher et observer la forêt, faisons du jardinage et du petit élevage autour des écoles, c’est urgent, cela ne coûte rien et ce sera un bénéfice immense pour la santé physique et psychique de nos élèves. Et là où il n’y a ni plage ni forêt, apportons-les. Végétalisons toutes les cours et les pourtours d’école, et transformons-les en prairies, en pâturages, en potagers. Outre que cela réduira l’impact du réchauffement dans les zones urbaines et limitera le risque d’inondations, cela permettra à nos enfants de sentir l’évidence de ce qui les relie à la nature et la nécessité absolue d’en prendre soin.
Mais surtout, si nous voulons que cette société de demain soit porteuse d’espérance pour nos jeunes, il nous faut leur démontrer qu’elle pourra être plus riante, plus belle, plus solidaire et bienveillante,et nous rendre infiniment plus heureux que la société que nous abandonnons.
Messieurs les ministres, nous sommes fonctionnaires. Ethiques et responsables, nous déclarons que nous ferons notre devoir.
Ferez-vous le vôtre ?
Merci pour cette lettre, elle reflète exactement ce à quoi j’aspire pour l’éducation de mon fils. Je la relaie auprès des parents d’élèves.
J’aimeJ’aime
Merci infiniment. N’hésitez pas à nous rejoindre, nous avons besoin des parents d’élèves!
J’aimeJ’aime
Votre propos implique l’action des collectivités territoriales qui ont des compétences dans vos propositions. Attee en collège et sensible aux questions de transmission transgénérationnelle en particulier touchant l’éducation à l’environnement, je vous soutien pleinement dans votre action.
J’aimeJ’aime
Je ne vois pas comment un pouvoir exécutif démontrant au quotidien son service aux plus riches et puissants dans tous les domaines peut comprendre quoique ce soit à la problématique du changement climatique !
J’aimeJ’aime